Une brève histoire de la folie
La psychatrie n’existe réellement que depuis le début du XXème siècle. Avant cette période, les « fous » ne sont pas considérés comme des malades mais comme des aliénés à qui l’on récuse le statut de citoyen, voir même la qualité d’être humain. Ils dérangent et sont donc éloignés de nos cités.
Louis XIV crée en 1656 l’Hôpital Général où sont enfermés les pauvres, les invalides, les malades mentaux, les « déviants »... tous ceux que la société refuse d’accueillir en son sein. C’est ce que les historiens dans le sillage de Foucault appellent le « grand renfermement ».
Le XIXème siècle commence à voir en l’aliéné un être humain malade et à envisager des traitements (bains froids ou chauds, électrothérapie...). Cependant ces traitements, souvent douloureux, sont aussi bien utilisés pour la cure que pour la répression. De plus, les malades sont toujours enfermés dans des asiles.
Le XXème siècle, à l’exception de la période nazie durant laquelle les aliénés sont exterminés, prend soin de ses malades mentaux. Ils vivent dans de bonnes conditions tant au niveau du logement, que de l’alimentation, des soins médicamenteux ou psychiques.
L’hôpital reste un lieu d’autarcie. C’est dans ce contexte que débute le projet de construction d’un hôpital psychiatrique à Saint-Jean-Bonnefonds en 1963. (source : wikipedia).
Une équipe soignante au service d’une psychiatrie plus humaine
Depuis la loi de 1838, chaque département devait posséder un asile. Ce n’était pas le cas de la Loire dont les malades partaient se faire soigner à Lyon, Clermont-Ferrand ou au Puy. Ce n’est qu’au début des années soixante que le Conseil Général de la Loire décide de la construction d’un tel hôpital. Le site du Colombier est choisi en 1963. On doit souligner le rôle d’Antoine Pinay, Maire de Saint-Chamond, dans ce choix. Le projet est celui d’un hôpital fermé, dont le nombre de lits s’élève alors à 798.
L’hôpital accueille son premier malade le 12 octobre 1971. Entre temps, les méthodes psychiatriques ont changé et les locaux ne sont plus adaptés. Dans la mouvance de l’anti-psychiatrie (idée que la psychiatrie fabrique la folie), une équipe dirigée par Messieurs Brisou et Gaudin met en place une psychiatrie dite de secteur qui n’isole plus les patients de la société et de leur famille. Les malades sont considérés comme des citoyens à part entière. Les soins font intervenir plusieurs disciplines : la médecine traditionnelle à travers des traitements médicamenteux, la psychologie à travers l’écoute, l’ergothérapie à travers des ateliers... Les malades peuvent circuler librement dans le village, avoir différentes activités et même travailler s’ils le souhaitent. Leur production en atelier est vendue quelques temps à Saint-Jean-Bonnefonds dans un petit local commercial : la Boutiquette. Ils peuvent ainsi se constituer un petit pécule qui leur permet d’agrémenter leur quotidien, s’offrir un gâteau à la boulangerie ou un paquet de cigarette au tabac-presse.
Robert Gonthier : « Dès le départ, ce fut un hôpital expérimental, où les malades pouvaient aller et venir librement. Le personnel s’est mobilisé pour avoir un nombre de malades réduit et pour que ce soit un hôpital « portes ouvertes », un lieu de vie pour les patients. »
Alain Moularde : « Le personnel soignant était jeune et empreint d’une philosophie de soins avant-gardiste. On pensait le soin, on prenait le temps de le réfléchir en fonction de ce qu’on pouvait ressentir face à cette pathologie. Les chefs de service Brisou et Gaudin programmaient des réunions communes à tout le personnel : médecins, infirmiers, assistants sociaux et psychologues. »
Ces nouvelles thérapies nécessitent un personnel important et un petit nombre de patients. Le nombre de lits, trop élévé, permet d’accueillir d’autres services hospitaliers au moment où démarre le chantier de l’hôpital Nord : hémodialyse, gastro-entérologie, cardiologie, médecine générale... Le personnel soignant est formé sur place grâce à une école d’infirmiers psychiatriques.
Robert Gonthier : « Nous étions nombreux pour encadrer les malades : 7 personnes le matin, 7 l’après midi et jusqu’à 4 la nuit : cela a permis d’instaurer des relations privilégiées avec eux et de tisser des liens. Nous pouvions les emmener dans leurs familles… Nous avions le temps de nous occuper d’eux ! »
« A un certain moment, l’hôpital de Saint-Jean-Bonnefonds a hébergé une école d’infirmiers psychiatrique, mais peu à peu, les ceux-ci ont été remplacés par du personnel diplômé d’état. Aujourd’hui, le diplôme d’infirmier psychiatrique n’existe plus, la psychiatrique fait partie du cursus d’un infirmier D.E au même titre que les autres pathologies ».
Alain Moularde : « Petit à petit, la médecine avant-gardiste a laissé la place à une psychiatrie beaucoup plus classique. Certains médecins sont devenus frileux à l’idée de laisser sortir un patient d’une structure psychiatrique, leur responsabilité étant engagée. Un malade peut en effet se stabiliser à l’hôpital mais également replonger dans la maladie après un certain laps de temps passé chez lui ».
« A Saint-Jean, il existait un centre intersectoriel de crise : les patients arrivaient tous dans ce service où ils étaient examinés, gardés pendant 24h, parfois plus, puis orientés vers le secteur adéquat. Ce centre permettait un fonctionnement beaucoup plus régulier des autres secteurs. Puis, les objectifs politiques et financiers primant sur les objectifs de soins, les moyens de ce centre de crise ont été récupérés pour agrandir le service des urgences psy de Bellevue ».
La première décennie de l’hôpital est marquée par la recherche d’un statut juridique adéquat. Cette recherche ne se fait pas sans difficultés De perpétuelles rumeurs de fermeture empoisonnent le quotidien de l’équipe soignante. Le statut juridique est définitivement fixé en 1981 par la fusion avec le CHRU (Centre Hospitalier Régional Universitaire).
Un hôpital-village où il fait bon vivre
Le site du Colombier est retenu pour ses qualités d’exposition et d’ensoleillement. Dans un parc arboré, seize pavillons de deux niveaux sont construits. Les bâtiments sont très simples, mais bien équipés, dans l’esprit de l’architecture moderniste : petites unités, toit-terrasse, larges baies vitrées, exposition plein sud pour que les malades bénéficient d’un maximum de lumière. Les architectes SALAGNAC et MARTIN ont pris soin à ce que l’ensemble des constructions s’intègre au paysage. La pente est utilisée pour créer de l’harmonie pour les malades, les familles et le personnel.
D’autres bâtiments annexes sont érigés : les bâtiments administratifs, le bloc médico-technique, la morgue, les ateliers d’ergothérapie, le centre social, la salle de spectacle, la chapelle, le gymnase, les logements de fonction, la conciergerie, l’internat. Par la suite, les enfants du personnel pourront bénéficier d’une crèche. Toute une vie s’installe à l’hôpital.
L’hôpital s’ouvre peu à peu . Des relations se créent avec les villageois. Une journée « portes ouvertes » est organisée en 1971, le personnel, les malades fréquentent les commerces du village. Certains infirmiers s’installent sur la commune. Les Saint-Jeandaires apprennent à vivre avec l’hôpital.
Jeanine Peillon, commerçante retraitée depuis 1991,a tenu la librairie-presse, rue Jean Jaurès pendant 31 ans : « Nous avons vécu, mon mari et moi l’implantation de l’hôpital à Saint-Jean-Bonnefonds. Tout d’abord, il y eu la période de construction des bâtiments : beaucoup de travailleurs étrangers, des yougoslaves plus particulièrement, travaillaient sur le chantier et venaient faire leurs achats au village. Cela a été une première dynamique pour notre petite économie, puis cela s’est amplifié lorsque l’hôpital s’est ouvert, en 1971, notre chiffre d’affaire s’est accru grâce à la fréquentation du personnel soignant mais aussi des malades qui venaient faire leurs courses au village.
Les patients aimaient beaucoup acheter des petites babioles, nous les connaissions et savions presque par avance ce que celui-ci ou celle-là venait chercher.
Je me rappelle que les HLM, rue Docteur Destre, ont été construites à la même époque que l’hôpital : il fallait loger tout ceux qui arrivaient !
Les mines ayant fermé quelques années auparavant, l’hôpital fut une source d’emplois pour beaucoup de Saint-jeandaires et nombreux sont ceux qui y ont fait leur carrière, ou qui y travaillent encore ! »
Le site du Colombier ferme en 2004. Il est vendu à Saint-Etienne Métropole qui engage des travaux pour créer un technopôle « Métrotech ». Les malades s’installent à l’hôpital nord et à l’hôpital de Bellevue où ils bénéficient d’un plateau technique impressionnant.
Alain Moularde : « Les pavillons de psychiatrie sont aujourd’hui installés à l’hôpital Nord. Les malades y ont un cadre de vie différent (chambre à un lit, plus de confort). Le peu d’espace restant crée des perturbations tant pour les malades que pour le personnel soignant (par rapport au parc de Saint-Jean-Bonnefonds) et cela peut générer des tensions. Un petit plus : dernièrement, s’est ouvert pour les patients un espace social attenant au service de psychiatrie ».
Craint à son ouverture, regretté à sa fermeture, l’hôpital a été au coeur de notre quotidien pendant plus de trente ans.
Sa fermeture ne signifie pas pour autant une rupture avec le dynamisme de la commune.
Réaménagé par Saint-Etienne Métropole, le site du Colombier retrouve une nouvelle jeunesse grâce au projet, déjà bien implanté, de Métrotech, technopole accueillant des entreprises tournées vers la recherche et le développement. Nous sommes donc face à un transfert de compétences et de qualifications. Ancien espace pionnier de la psychiatrie, le Colombier devient l’espace pionnier de la haute technologie du bassin stéphanois.
Remerciements à Alain Moularde, Robert Gonthier, Jeanine Peillon, Jacqueline Bayon et les étudiants de l’IERP